RETOUCHES & MONTAGES

gargouille, conduit d'évacuation des eaux de pluie percé dans une corniche, devenu le support d’une imagerie fantasmagorique aux périodes médiévale et Renaissance.

À l’origine simple élément architectural, la gargouille a donné naissance à une sculpture de grande qualité sur les édifices religieux et civils.

L'apparition de la gargouille dans l'architecture est étroitement liée au problème de l'écoulement des eaux de ruissellement sur les toits des édifices. Dès l’Antiquité, on rencontre des gouttières décorées en bois, en céramique ou en pierre, mais leurs formes ont évolué au cours des siècles. À partir du début du XIIIe siècle, les architectes placent à la base des versants des toits des canaux en pierre ou en bois, recouverts de métal, qui sont destinés à recevoir l’eau. Ces chéneaux accompagnés de gouttières décoratives saillantes formées par les gargouilles, dévient les eaux de pluie et les font tomber à bonne distance des murs, ce qui évite la fragilisation des maçonneries par le ruissellement. Avant la création des chéneaux et des gargouilles, l'eau qui tombait sur les toits s'égouttait directement dans la rue, ce qui entraînait une dégradation des murs, outre la gêne que cela occasionnait pour le passant.
Du simple tuyau en métal renforcé de pierre, la gargouille est devenue rapidement le support d’une sculpture dont le registre le plus connu est l'animal fantastique. La gargouille se compose alors d'une rigole creusée à l’arrière et s’achève par la gueule de la créature d’où l'eau est crachée. Chacune d'entre elles est une pièce unique et peut être tenue pour un véritable chef-d’œuvre à part entière : à l’origine, la gargouille n’est rien d’autre qu'un buste qui dépasse timidement du mur, puis, très tôt, c’est tout le corps de l’animal qui est figuré, dont seules les griffes prennent appui sur la corniche. En petit nombre, ces gargouilles représentent dans un premier temps des créatures fantastiques aux formes lourdes grossièrement sculptées, puis, au fur et à mesure, elles s’affinent et se transforment en animaux communs ou exotiques (poissons, lapins ou rhinocéros, affublés d’ailes). Au fil du temps, les architectes jugent intéressant d'accroître le nombre des gargouilles afin de multiplier les points de chute d’eau et de diminuer l’intensité du débit de l’écoulement. Sculptées en 1220, les gargouilles de la cathédrale de Laon constituent à cet égard l'un des plus anciens exemples gothiques qui aient été conservés.
À partir de 1230-1240 les gargouilles se généralisent sur les édifices. Elles sont alors considérées comme un décor majeur dans l’architecture gothique. À la Sainte-Chapelle du Palais, à Paris, construite entre 1242 et 1248, la silhouette des gargouilles s'allonge, le corps s'affine, l'expression devient plus féroce et la tête part parfois en oblique pour cracher les eaux. Les sculpteurs débordent d'imagination et le bestiaire s’étoffe (animaux domestiques comme le chien, l'âne, le porc ou le bélier de la cathédrale Notre-Dame de Reims, ou animaux sauvages comme le renard, le loup ou le lion de l’église Notre-Dame-des-Marais à Villefranche-sur-Saône). Cependant la figure de gargouille la plus connue et la plus répandue reste le dragon ; elle est fréquemment associée à l'image du démon, comme sur la façade nord de la cathédrale Notre-Dame de Paris. D’autres sculptures, plus complexes, illustrent des scènes de démons ailés enlevant des femmes, encore visibles sur les chapelles du chœur de la cathédrale de Clermont-Ferrand. On rencontre également des personnages mythologiques tels les Harpies, les tritons ou les Sirènes qui décorent l’hôtel de ville de Bruxelles.
À la fin du XIIIe siècle, la sculpture de la gargouille devient plus complexe, et la figure humaine se substitue peu à peu à la figure animale. On retrouve soit des visages — expressifs, grimaçants, voire grotesques — soit des corps entiers, repliés et accrochés à la corniche par les pieds. Une des figures récurrentes est celle d’un homme écartelant des deux mains une bouche béante, comme on en trouve sur la façade ouest de la cathédrale Saint-Pierre de Poitiers. Parfois, lorsqu’elle ne sort pas par la bouche, l’eau s'écoule par le biais d’un objet, comme un vase, que la gargouille tient dans ses bras. Les gargouilles s’affinent encore durant les XIVe et XVe siècles, pour perdre finalement leur caractère démoniaque et menaçant (comme le chien du palais Jacques-Cœur à Bourges), et devenir des figures amusantes et drolatiques, à l’image de l'homme hilare à tête de chèvre ou bien de l'âne rieur qui se dressent sur le flanc sud de la cathédrale de Strasbourg. On rencontre encore des gargouilles durant le XVIe siècle, mais celles-ci tendent à disparaître avec le début du XVIIe siècle pour être finalement remplacées par les gouttières.